Somewhere in Time

Maître des muscles, de la voix guerrière et des riffs lourds : découverte de Thor, groupe méconnu de Vancouver (1973).

Toujours en quête de nouvelles sonorités, de pépites oubliées ou méconnues dans l’univers foisonnant du heavy metal, je suis récemment tombé — un peu par hasard — sur Thor. Un nom qui, avouons-le, prête à sourire au premier abord : cliché, presque caricatural… surtout à notre époque, où l’image du dieu nordique a été surexploitée par la pop culture et malmenée par les majors durant les deux dernières décennies. On pourrait facilement passer son chemin.

Mais ma curiosité a été piquée. Les pochettes de Keep the Dogs Away (1977) et Unchained (1983) avaient quelque chose d’intrigant, de théâtral, presque kitsch… et donc terriblement attirant.

J’ai lancé l’écoute du premier album, surpris par sa qualité de production, mais dont le style penche trop vers le hard rock glam pour que j’y accroche pleinement. En revanche, Unchained m’a happé dès les premières secondes : énergie plus brute, voix plus posée, riffs plus lourds. La magie opère. Les frissons montent. Le cerveau se connecte.

L’album ouvre avec Lightning Strikes Again : un morceau puissant, direct, sans détour. Dès les premières mesures, les intentions sont claires : riffs massifs, batterie martiale, voix virile sans excès, groove heavy-metal classique mais redoutablement efficace. Rien de révolutionnaire, mais un concentré de sensations fortes. Le genre de titre qui donne envie de secouer la tête, lever le poing et s’imaginer au cœur d’un combat épique contre les forces du mal.

Du muscle décomplexé

Depuis cette découverte, difficile de passer à autre chose. Le mélange assumé de heavy metal musclé et de hard rock théâtral fonctionne à merveille. C’est brut, sans filtre, presque sauvage. On a l’impression d’assister à une performance live dans une salle enfumée plutôt qu’à un enregistrement calibré.

Le groupe, porté par la personnalité larger-than-life de Jon Mikl Thor, garde les codes des années 70 — tenues extravagantes, riffs directs, voix volontairement exagérée — tout en injectant une dose de modernité propre au début des années 80. Résultat : un disque qui respire la sincérité, l’énergie et ce sens du fun qui manque à bien des productions contemporaines.

Bien que le nom Thor évoque l’épique et la force brute, je ne peux m’empêcher d’avoir en tête Musclor, le héros bodybuildé des Maîtres de l’univers. Et peu importe : ici, tout est dans le style et l’attitude. Thor (le groupe) assume tout : le muscle, l’héroïsme, les riffs aussi lourds que des enclumes. Et il le fait sans le moindre complexe.

Une révélation

Le troisième album, Only the Strong (1985), est une réussite éclatante. Plus travaillé en studio, mais tout aussi énergique, il démarre avec une courte intro atmosphérique avant d’enchaîner sur le morceau-titre : une déferlante d’énergie pure. Riffs tranchants, voix triomphante, rythmique martiale… un morceau taillé pour la scène, qui donne envie de briser des chaînes et de bomber le torse.

Jusqu’ici, je pensais que Manowar avait le monopole du heavy metal épique et musclé, avec ses hymnes martiaux et ses visuels testostéronés. Mais Thor m’a prouvé qu’il y avait une autre voie : plus rugueuse, plus théâtrale, moins sérieuse aussi. Jon Mikl Thor, ancien culturiste sacré Mr Canada puis Mr USA, ne se contente pas de chanter — il incarne une véritable légende vivante, fusionnant métal et spectacle.

Hélas, Unchained et Only the Strong sont restés uniques dans leur synergie. Ce mélange précis de style, d’époque et de folie créative est difficile à reproduire. Peut-être est-ce ce qui les rend aussi précieux : deux disques à l’identité forte, capables de séduire ceux qui osent écouter au-delà des apparences.

Mon précieux

Je n’ai pas résisté longtemps avant de mettre la main sur le vinyle d’Only the Strong. Pochette tape-à-l’œil, muscles huilés, armure de guerrier, titre flamboyant : tout y est. Pour Unchained, la quête est plus difficile. L’album se trouve rarement en version originale dans nos contrées, et il faudra sans doute passer par l’import. Et franchement ? Chaque centime en vaudra la peine.

Découvrir Thor aujourd’hui, c’est exhumer un trésor oublié, coincé entre deux âges : le glam héroïque des années 70 et la puissance guerrière du heavy metal des années 80. Un groupe hors du temps, imparfait peut-être, mais sincère et authentique. Jon Mikl Thor n’a jamais triché : il a incarné son personnage jusqu’au bout des pectoraux, dans la démesure et l’amour du spectacle.

Unchained et Only the Strong ne sont pas que de bons albums : ce sont des manifestes. Des cris d’amour pour une époque où le métal savait faire sourire, rêver et exalter autant les corps que les imaginaires. Du muscle, des riffs, et une âme. Rien de plus. Rien de moins.